ÉCRITURE

ALZHEIMER SOCIAL chronique GOSSAGE (printemps 1994)

ESSE no.24


ACTE 13
La crise de foi, stop ou encore

(Djo est assis sombrement dans un bar su Papineau. Y s’parle tout haut.)

Chu rendu tu seul, en pleine crise de foi. Djo, sacrament, si t’étais là! J’viens de finir de monter mon exposition, la plus importante que j’ai jamais faite, pis chu pas sûr que ça vaut la peine de dépenser toute c’t’énergie-là, chu pas sûr, Djo. Ça m’a pris dix jours d’installation, pis après trois heures de vernissage, y nous crissent dehors. J’ai travaillé en termes d’années pis l’exposition est visible en termes de semaines. Djo, j’ai faite plein de grosses sculptures, pis je l’sé que j’va être obligé d’lé ramener, pis j’ai pu d’place pour lé mettre, Djo. Pis c’é pas l’pire, Djo. Pour moi c’t’un langage, Djo, pis ça pas d’l’air à intéresser ben ben le monde sauf quelques rares personnes, Djo. Y faut être fort en maudit, Djo, ça fait vingt ans qu’c’é pareil, pis j’pense que j’ai pu la force.

-Hey! Le crotté dans l’coin, t’as-tu fini d’te plaindre ? Moé, chez nous, on é su’l BES pis y viennent de nous couper l’électricité. Fa que té p’tits problèmes existentiels, j’en ai rien à foutre. Nous autres on é dans marde pour de vrai, en plein hiver.

-Lé gars, c’é-tu un concours de qui qu’y é l’pire que vous faites? Parce que, j’vous l’dis tu d’suite, vous êtes pas d’taille. Lé médecins y viennent d’annoncer à mon beauf qu’y y restait quèqu’jours à vivre, pis y a une femme pis dé enfants. Pis si vous voulez, on peut parler de l’Amérique du Sud ou bindonc d’l’Afrique. Fa que, finissez donc vot p’tite bière tranquille, pis comptez-vous chanceux d’avoir la grosse part du gâteau.

-Toute une part, calvaire! Y manque un peu d’crèmage, m’a t’dire. J’t’obligé d’v’nir prendre ma bière icitte, si j’veux pas qu’a m’reste collée su é lèvres, tellement qu’y fa frette chez nous.

-C’é drôle, quand j’tais p’tit, j’comprenais pas quand ma mère a voulait que j’mange mé légumes en me disant « Pense aux p’tits Chinois qui crèvent de faim ». J’comprenais pas c’que ça pouvait leur donner aux Chinois que j’mange c’qu’y avait dans mon assiette. Chu pas sûr si j’comprends ben ben plus aujourd’hui. Mais c’é de tout ça que j’parle dans mon travail, dans mon exposition. J’me prends-tu d’une mauvaise façon ? Ou ben donc, ça intéresse personne ? Peut-être que c’é mieux d’faire dé belles choses pour alléger toute le dur qu’y a autour. Je l’sé pas, moi.

-Fais-toi-s’en pas, Djo. Que tu fasses n’importe quoi, t’é pas parti pour changer quoi qu’ce soit dans l’monde. Esti! Arrête de t’prendre pour le Christ.

-Cé dommage quand même. À un certain moment donné, j’ai cru que j’pouvais amener d’quoi.

-T’étais saoul.

-Peut-être, mais maintenant, moi, qu’est-ce que j’fais ?

-E’rien, calvaire. Moins t’en fais, mieux qu’on é. Lé artistes, c’é comme lé prisonniers, ça fait juste coûter cher à société, pis ça fait rien qu’brasser d,la marde.

-Y disent ça aussi dé bien-être socialeux, pis d’la fonction publique. En fait, y disent ça d’à peu près toute le monde dans société, mais surtout dé p’tits. On coûte toute cher, pis on rapporte rien. On pourrait croire que c’t’un coup monté pour qu’humainement on s’haïsse, pour qu’on s’trouve laid. Plus on va se sentir coupable, plus qu’on va faire ce que l’on veut de nous autres. En fin de compte, on veut arriver à nous faire croire à tous que la valeur d’un être humain est proportionnelle à sa valeur en dollars, en marks ou en yens.

-Qui ça « y »?

-Ben, c’é surtout lé dirigeants, lé personnes qui détiennent le pouvoir monétaire ou autre, mais c’é aussi tou l’monde. Toi-même, tu viens de m’traiter de plaie, pis tu souhaite mon suicide.

-Charrie pas! J’te dis juste que, que tu continues ou que tu arrêtes de travailler, ça change pas grand-chose tant qu’à moi, pis c’é certainement pas ça qui va ramner l’électricité chez nous. Tu vois, ti-gars, y é quasiment temps que tu t’désillusionnes. Tu r’tardes. Allume té grosses, lé héros c’é pus John Lennon. Astheure c’é lé animateurs de lignes ouvertes à télé.

-Mais, moi, tu vois, c’é sûr que j’ai besoin d’une communication avec le monde pis j’veux parler ailleurs que dans l’désert, mais en pluss, j’ai l’besoin de dire de quoi, pis d’travailler la MATIÈRE.

-Ben mon p’ti-gars, y é temps qu’tu commences ta neuvaine à St-Jude. Change de siècle. Gérard! Apporte-z-y donc une bière.

-Tu m’as pas dit qu’t’avais pu une crisse de cenne pis qu’y t’avaient coupé l’électricité ?

-Occupe-toi pas, Gérard va m’fronter ça.

-…j’pourrais p’t-être essayer de trouver un moyen d’faire de l’art au téléphone pendant que j’passe à T.V. pis j’m’appellerais Pablo Mongrain, genre.

-Là, tu penses positif, mon gars. Y m’semblait qu’une bonne bière ça t’f’rait du bien. C’t’une nouvelle vie qui commence pour toi.

-Ben sacrament, j’pense ben qu’oui. Mais la matière, elle ?

-Occupe-toi pas d’la matière, ça vaut rien la matière. Écoute-moi ben Pablo. Grâce à la télévision, on peut maintenant savoir c’qui s’passe partout dans l’monde, ça nous rapproche dé autres, pis on subit, veut veut pas l’influence de différents peuples, notamment l’influence orientale. Notre société capitaliste s’en vient de plus en plus zen.

-T’é sûr ?

-Sûr. Tu vois, nous autres, notte plus grande valeur matérielle, c’é l’argent. Ben l’argent, c’é rendu une abstraction, un mystère. Prend, par exemple, la dette nationale. Ben, personne comprend ça, pis ça nous empêche pas d’y croire. J’te l’dis, Pablo, lâche la matière si tu veux être heureux.

-Ben, si tu l’dis, mais y faudrait qu’j’y pense un peu.

-Pablo, arrête d’essayer d’comprendre, pis crois-moi. De toute façon, tu peux pas être pire que t’étais.

-Bon, ben j’te r’mercie.

-De rien, Pablo! N’importe quand, tu peux r’venir voir ton gourou. En attendant, on prend-tu une dernière bière ? C’é toi qui paies

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