ÉCRITURE

ALZHEIMER SOCIAL chronique gossage

Esse #43 (automne 2001)


HISTOIRES D’OISEAUX

Gio va voir Djo à son atelier

—Salut Djo.
—Salut Gio, ça va-tu bien? Prendrais-tu un p’tit verre de vin?
—Calvaire Djo, le grand sourire, tu me fais penser à quand t’é en pleine forme.
—Bin oui, imagine-toi donc qu’ça va pas pire.
—La dernière fois qu’on s’é vu, tu m’parlais jusqu’à quel point le monde était tout croche. Qué cé qui t’a fait changer d’idée?
—J’ai jamais changé d’idée sur le monde, c’é moi qui va bien.
—C’é quoi qui t’rend dans c’t’état-là?
—Bin, j’commence un nouveau projet pis j’travaille sans savoir où j’m’en va.
—Pis ça t’rend euphorique?
—Oui, y m’semble que j’ai aucune contrainte, ni de temps, ni de médium, ni de sujet, ni de direction, ni de signification. J’ai aucun but autre que celui de faire quelque chose. J’ai commencé à travailler sans savoir où j’m’en va.
—T’aimes pas mieux avoir une idée avant de commencer?
—Jamais de la vie, j’veux profiter du moment où chu dans un état de vide complet. C’est le moment que j’aime le plus, j’ai l’impression de travailler pour rien, mais j’travaille pareil. Tout fin prêt et ouvert aux idées, à l’improvisation. Dans ces moments-là, j’me sens capable d’improviser, de conter une histoire sur n’importe quel sujet.
—Tu m’dis que tu peux m’conter une histoire à propos d’n’importe quoi. T’inventerais ou tu m’conterais un fait?
—Qu’est-ce que ça change? Si t’aimes l’histoire.
—Bon bin, sers-moi un verre de vin pis raconte-moi une histoire de p’tits oiseaux. Ça va faire changement.
—J’peux t’en conter plein d’histoires d’oiseaux. Qué cé qu’tu veux? Une histoire de moineaux, d’hirondelles, de mainates, de corneilles, de pélicans ou de ptérodactyles?
—Mettons une histoire de pigeons.
—Bof, pour quelqu’un d’la ville, une histoire de pigeons, c’é assez facile, j’peux t’en raconter plein.
—Vas-y quand même.
—Bon bin, j’t’en conte une p’tite. L’autre jour, j’me promenais dans l’ouest, dans l’bout d’Décarie.
—Calvaire Djo, toi dans l’ouest pis en plus dans l’bout d’Décarie, qué cé qu’tu faisais là?
—Bof! C’é un peu long à expliquer, mais disons que j’allais porter des confitures à ma grand-mère malade, mettons.
—Pis les pigeons?
—Ça s’en vient. Alors, j’marchais su’l trottoir, pis je r’marque un genre de robineux qui s’en vient vers moi. J’me dis wow, un robineux anglais, j’ai pas vu ça souvent. C’était un grand «slaque» avec des vieilles bottines de travailleur. Devant nous, y a un pigeon qui marche et qui roucoule en mangeant des miettes de chips. Arrivé proche du pigeon, le gars s’élance, lui donne un coup de pied et les plumes se mettent à r’voler. Toutes ces plumes blanches, c’était d’une féerie.
—Calvaire Djo, même quand tu parles d’oiseaux, t’é juste capable de conter des histoires noires?
—Pantoute, c’que j’viens d’te conter-là, c’était très beau, non?
—Conte-moi une vraie belle histoire, ok?
—D’accord, j’va essayer. Encore une histoire d’oiseaux?
—Mettons.
—Une fois, j’me promenais à bicyclette, pis j'aboutis dans un parc dans l'ouest de la ville, un parc que j’connaissais pas. Dans l'ouest, y ont beaucoup pluss de coins sauvages qu'on l'imagine. Toujours est-il que j’me r’trouve pratiquement en pleine forêt. J’m'assois par terre contre un arbre. Sur une branche très haute, il y a une corneille. A s’met à croasser. Moi, j'étudie son son pis j'essaie d'imiter le mieux possible ses cris. J’crie pis j’ répète c‘qu'a dit, sans savoir ce que ça veut dire. A m’répond pis on s’parle un p’tit bout d’temps. Mais ce qui est spécial, c'é que, tout à coup, une autre corneille vient nous r’joindre pis a s’met de la partie elle avec. Un peu plus tard, une autre pis une autre, finalement, y en avait plein qui criaient pis j’vivais un moment tellement privilégié et euphorique que j'ai dû faire une fausse note ou peut-être qu'y s’sont rendu compte de ma supercherie, y sont toutes parties d'un coup. J'ai réalisé brusquement qu’j’étais pas une corneille, parc’que dans l'emphase j'y avais cru.
—Pas pire Djo, t’en as-tu encore comme ça? Sont-tu seulement dans l’ouest té histoires? T’as d’l’air de te t’nir pas mal dans c’bout-là.
—Des histoires d’oiseaux de l’est?
—Envoye donc.
—Pas d’problème, les oiseaux n’ont pas de frontières. J’va t’conter l’histoire d’une chauve-souris au parc Lafontaine. À un moment d’nné, ça fait longtemps, j'y allais souvent dans l’parc, quand j'avais le goût d’fuir la ville. Souvent quand j’prenais de l'acide pis qu’les bruits de chars pis toute le reste me faisaient «freaker». Alors c’te fois-là, j’arrive dans le parc, j’me promène pis j’vois à terre une chauve-souris.
—T’hallucinais?
—Bin non, pis a souffrait, était blessée. J’me suis souvenu que pour abréger les souffrances d'un petit chat atteint de distemper, j'avais été obligé de l’tuer. Fa que, j'ai fais ce que j'avais à faire, j’ai pris une roche pis je l’ai éffouoirée. Plus vieux, quand j'étais à l'hôpital avec mon père mourant, dans le coma, j'ai dit au docteur de lui enlever l'oxygène, j’ai eu une pensée pour la chauve-souris pis le p’tit chat.
—Calvaire, pas trop drôle ton histoire. T’en as-tu beaucoup des histoires d’même?
—J’vas t’conter une drôle d’histoire vraie. Y avait une fille qui venait souvent chez nous, une amie de ma blonde à l’époque. Ça fait un bon bout d’temps. A venait souvent pis j’trouvais qu’a v’nait m’ner la pagaille. Quand a partait, ma blonde pis moi, invariablement, on s’chicanait. A nous prédisait toutes sortes de choses désagréables. Je l’avais surnommée l’oiseau de malheur. Un jour que j’était bin tanné, j’ai fait le dessin d’un oiseau en pensant fortement à elle pis j’ai planté un clou de six pouces dans le cœur du dessin qui était sur ma table en bois.
—Du vaudou! Tu crois pas à ces choses-là?
—Bin, je l’sé pas quoi penser mais y reste qu’est jamais r’venue.
—Jamais?
—Jamais.
—Peut-être qu’est morte?
—Non, je l’ai entrevue su a rue quèques années plus tard pis j’pense qu’a m’a pas r’connu pis j’y ai pas parlé non plus.
—Pis l’pélican?
—Bin l’pélican, ça s’passait en Floride. À un moment donné j’y allais à toutes les hivers.
—Un genre d’Elvis Grégoire.
—Pas mal drôle, tu veux-tu que j’continue ou non?
—Bin oui Djo, c’t’ait une blague.
—Bon bin, j’me promenais sur la plage, pis j’vois-tu pas un pélican mort, y puait en ostie. Quand j’allais en Floride, souvent j’moulais c’qui s’présentait. Une fois j’ai moulé un requin marteau que mon beau-frère Yvan y avait pêché. Une autre fois j’ai moulé un cormoran, mais c’te fois-là, ça me levait trop l’cœur. Alors, j’ai décidé de l’enterrer pis d’attendre. L’année d’après, je l’déterre : bin, y restait juste les os. J’ai gardé l’crâne, y é assez spécial avec son long bec.
—Donne-moi un aut’verre de vin pis continue, j’aime ça tes histoires.
—D’accord. Ya quèques années, j'étais à Londres pis à Londres, il y a un parc. Peut-être que t’es déjà allé, où les oiseaux viennent manger dans ta main. Mais c’é pas des pigeons comme sur la place St-Marc à Venise pis là-dessus je pourrais t'en conter pas mal parc’que ma fille était tellement impressionnée pis emballée par le fait que les pigeons allaient sur sa tête, sur ses épaules, partout, qu'a voulait pu rien faire d'autre que d'aller sur la place St-Marc pis nourrir les pigeons.