ÉCRITURE

ALZHEIMER SOCIAL DANS ESSE sous la chronique GOSSAGE (printemps-été 1995)

Esse #26

TEQUILA DJO

-Djjjjoooo ?
-Crokia ?
-J’ai soif.
-Soif dans la bouche comme dirait Auclair, ou bin donc soif dans la tête ?
-À court terme j’ai soif dans la bouche, à moyen terme j’ai soif dans la tête, pis à long terme j’ai soif dans l’âme.
-Bin, t’é bin tombé en sacrament, parc’que wé-tu, j’ai ici un p’tit bouère que tu m’en diras dé nouvelles. J’pense que José Cuervo y avait exactement ton genre de problème théologique, si on peut dire.
-Ooouuutabarnac! D’la téquilla! On v’être beau bonhomme t’à l’heure.
-Si senor. Ça senor, ça saoule pas, ça stône bino rédo. Tu penses-tu qu’ça va régler, du moins momentanément, l’éternel problème de la « soif aux trois endroits » ?
-Pour c’qui é d’la soif dans bouche, c’é certainement pas en buvant qu’on étanche sa soif. Tant qu’à moi, boire, ça donne soif. Toute é là.
-On parle de bouche, pas d’âme.
-J’te parle de l’âme de la bouche.
-Pis la soif dans tête ?
-Bin, d’un point de vue judéo-chrétien, le plaisir qu’on a aujourd’hui, on va payer pour, demain. Fa que bizarrement le mieux qu’on pourrait se souhaiter pour demain, ça s’rait d’avoir un crissss de mal de tête écoeurant. Au moins, si on s’rappelle pas c’qui é arrivé aujourd’hui, on porra toujours se dire qu’on a dû avoir dé osties d’discussions intéressantes.
-Pis ça t’dérange pas d’pas t’en rappeler ?
-Bin, c’t’un choix, soit que tu t’en rappelles ou soit que t’as eu bin du fun. Pis d’ailleurs, pense à ça comme y faut, on a pluss tendance à se rappeler dé mauvais souvenirs, dé moments très durs que dé belles affaires qui nous sont arrivées. On dirait que le beau, y é vague comme d’la ouate, pis le mauvais c’é pointu, une épine. Fa que la mémoire dans l’fond… Tant qu’à moi, quand t’as été bin, c’é pas bin bin important de savoir comment pis pourquoi.
-Fa que l’intellectualisme qui a un rapport étroit avec la mémoire, lé données, en opposition avec l’instinctisme qui laisse aller pis qui rattache pas lé maillons, l’intellectualisme, c’é plutôt du côté mauvais ?
-Pas mauvais, mais on peut classifier ça parmi les tendances noires.
-Fa que, selon toi, y a dé tendances noires pis dé tendances blanches.
-Forcément, pour pouvoir nourrir la matière grise.
-Ha! Ha! Ha!
-Ha! Ha! Ha!
-Pis la troisième soif ? L’âme ?
-Bin, l’âme é comprise dans toutes cé affaires-là.
-Pis quand y en a pas ?
-Bin, quand y en a pas, y en a pas.
-Ça r’semble au discours dé prétendus élus : « Ceux qui veulent être sauvés vont l’être; lé autres, y arrivera rien avec. »
-Sauvés par quoi.
-Bin, par la cloche.
-Quelle cloche ?
-Bin, la cloche qui laisse passer l’train.
-Tabarnac! A marche, la téquilla. On é rendu.
-Si senor! Au Mexique, su’l bord d’la track. R’garde là-bas, Pélo pis Emilliano avec d’la dynamite. Y vont faire sauter l’train. T’en souviens-tu ?
-Calvaire, c’é pas juste un voyage dans l’espace, c’t’aussi un voyage dans l’temps. Tu vois, on s’rappelle pas rien qu’dé mauvaises affaires.
-Évidemment du texte sur d’la musique, c’é plus dur à oublier. Pour moi, si toute c’qui m’ont montré à l’école, y l’avait chanté, j’pense que j’m’en rappellerais.
-T’été chanceux que dans l’temps lé méthodes étaient pas trop avancées.
-Fais-toi s’en pas. Si y avaient à être avancées, c’t’à c’moment-là qu’elles l’auraient été. Avec la conjoncture actuelle, on va pouvoir continuer à rien s’rappeler pendant encore un ostie d’bon bout d’temps.
-Oui, monsieur, la vie est un long éclat de rire.
-Comme ça ? Haaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa.
-T’é-tu sur que ça r’semble à un éclat de rire ?
-À vrai dire, j’trouve qu’y manque de h.
-Kin, nostalgique ?
-Bin, le Mexique, ça nostalgise.
-Genre, tu veux y finir té vieux jours ? T’aimerais mourir su’l’top d’une pyramide ?
-Genre, j’aimerais qu’on ait une histoire, un passé, peu importe si y’é sanglant ou non.
-Passé sanglant, c’t’un pléonasme. Pluss que ton passé y é long, pluss qu’y é sanglant. Lé passés de toutes lé peuples sont sanglants.
-Oui, mais…comment ch’pourrais dire ça ? …on dirait que y en a que c’é pluss du vrai sang.
-Pis lé patriotes d’ici, c’é pas du vrai sang ?
-Oui, mais disons que dans notre histoire, toutes lé batailles qu’on a entreprises, on en a jamais gagnée une. Fa que à la longue ça mine un peu. Lé Québécois y ont d’la misère avec leur passé.
-Tant qu’à moi, c’é pas avec le passé qu’on a le pluss de misère, c’t’avec not présent.
-Pis c’é quoi qu’tu suggères ? Que le peuple québécois devrait consulter un psy ? On pourrait choisir un Allemand peut-être à cause de Freud, ou un Américain « eux-autres y l’ont l’affaire », ou un Anglais ou un Français d’l’aut’bord, ou un Mexicain, ou qu’on s’auto psychanalyse ?
Calvaire! Ça fait dé années qu’c’é rien qu’ça qu’on fait. À un moment donné…peut-être qu’y s’rait temps d’arrêter la thérapie. Moi, chu tanné, chu pu malade. Ch’t’en train d’poigner dé plaies d’pays à force de rester couché.
-Hey! Djo ?
-Crock ?
-Y reste pu d’téquilla.
-On tombe-tu dans Fin du Monde ?
-Ha! Ha! Ha!
-Ha! Ha! Ha!