ALZHEIMER SOCIAL chronique gossage
ESSE no.37 (hiver 1999)
ACTE POÉTIQUE
—Pis Djo? On parle de quoi aujourd’hui? D’not’langue, dé sacres, de politique?
—Ça s’commande pas ça, Gio. Ça arrive comme ça arrive. Y a rien d’pire que la préméditation dans certains domaines, ça tue les idées.
—Mais quand même, t’avais dit que t’enlignerais la chronique sur la langue.
—Peut-être que ça s’ra ça. Qui vivra cochon, comme on disait dans cour d’école. Pour tout d’suite, j’ai l’goût d’boire pis d’écouter d’la musique.
—Quoi?
—Bin! Un p’tit rouge, ça s’rait pas pire si t’en as.
—Oui, mais comme musique?
—Bin, de c’temps-là, y m’vient plein de paroles dans tête, des belles paroles, des paroles d’ici, d’la poésie. La fin de l’hiver peut-être.... L’autre soir, j’me promenais dans la rue pis j’me suis mis à chanter : «...le vent du nord, le vent qui mord, le vent qui défait tes cheveux. Le vent qui vire tout à l’envers, qui éparpille nos adieux dans tous les coins de l’univers...»
—Calvaire, ça nous rajeunit pas!
—Une autre fois, c’était : «... les gens de mon pays ce sont gens de paroles et gens de causerie qui parlent pour s’entendre et parlent pour parler, il faut les écouter, c’est parfois vérité, et c’est parfois mensonge, mais la plus part du temps, c’est le bonheur qui dit, comme il faudrait de temps, pour saisir le bonheur, à travers la misère, emmaillée au plaisir, tant d’en rêver tout haut, que d’en parler à l’aise...» L’aut’jour, c’était: «... sur un cheval blanc, je t’emmènerai, défiant le soleil et l’immensité, loin de la ville...» ou «... je suis infidèle, la musique m’appelle et l’amour m’envahit...» ou «... Marie Noël, petite fille, joujou fragile... ... tes petits grands yeux verts et ta bouche rouge, faisaient tourner à l’envers mon traîneau mon soleil d’hiver...» ou « ... des yeux verts pour le jour, des yeux bruns pour l’amour... une bouche à jamais douce comme un secret... ... et je le redessine et le vent le ressouffle, ton visage...» ou «... tu te lèveras tôt, tu mettras ton capeau et tu iras dehors, l’arbre dans ta ruelle, le bonhomme dans le port, les yeux des demoiselles et le bébé qui dort, c’est à toi tout cela... ... Y'a des faiseurs de chaises, des faiseurs de chaloupes et des faiseurs de pain et des faiseurs de rien, y'a les retardataires...». Y faudrait écouter des chansons comme ça au moins une fois par jour.
— Une fois par jour! Tabarnak! Djo, t’é malade?
—Bin! T’écoutes la radio pis la télévision, tu t’tapes les mêmes annonces de char pis de bière pis de savon bin pluss qu’une fois par jour sans compter celles que tu vois dans les journaux pis dans rue. Des fois, j’me dis que ça pourrait être autrement. Ça prend absolument pluss de poésie. La publicité fait un tort immense à l’humanité, mais pas juste elle. Aujourd’hui, quand t’entends parler de neige, de vent, de pluie, c’é d’une façon alarmiste, surtout à la télévision. Quand y neige, c’t’une tempête; quand y pleut, c’t’un risque de déluge ou du moins, à coup sûr, une fin de semaine ratée; quand y fait chaud, c’é la canicule. Si on n’aime pu la température de son propre pays, ça va mal. J’ai l’impression qu’on était beaucoup plus proche d’avoir un pays avant que maintenant.
—Très nostalgique, Djo.
—Peut-être un peu, mais tu m’as d’mandé c’que j’voulais entendre, fa que, tu vas-tu mettre un d’cé disques-là?
—J’m'excuse Djo, mais ça fait longtemps que j’ai pu d’appareil pour faire tourner dé 78 tours.
—C’é ça, écoeure-moi! T’as-tu au moins quelque chose de québécois?
—Bin, j’ai d’quoi d’plus vivant, plus actuel.
—Comme quoi?
— Céline Dion. J’trouve que sa voix é t’écoeurante.
—T’é sérieux, Gio?
—Bin sûr.
—C’pas une Québécoise elle, c’t’une Américaine.
—C’é là qu’tu t’trompes Djo, pis ça m’surprend de toi. Tu réalises pas qu’on é un peuple de surdoués.
—Bin là, charrie pas, quand même.
—J’te l’dis Djo, Céline Dion, c’t’une Québécoise qui chante dans une langue qui é même pas la sienne, qui réussit dans un pays qui é même pas le sien. Y a des milliers d’Américaines qui travaillent d’arrache-pied pour arriver ne serait-ce qu’au quart de ce qu’elle é, pis y arriveront jamais. J’te l’dis Djo, on peut toute faire, nous autres. Si on veut être Américains, on peut être plus Américains que lé-z-Américains. Si on veut être Anglais, on peut être plus Anglais que lé-z-Anglais.
—Comment ça?
—R’garde Roger D. Landry dans le film Le temps des bouffons de Falardeau. J’mettrais au défi un Canadien anglais d’être plus Canadien anglais que ça.
—Chu pas sûr qu’on devrait être fier de t’ça.
—Vois ça autrement, Djo. Qui a écrit l’hymne national du Canada? Un gars d’ici. Qui est le premier ministre du Canada, pis l’autre d’avant, pis l’autre d’avant? On obtient pas seulement du succès au Canada et aux États, mais en France aussi, même dans l’espace, r’garde Julie Garneau. J’te l’dis Djo, je s’rais même pas surpris si bientôt, on élisait un Québécois ou une Québécoise comme président des États-Unis.
—Si j’te suis bien Gio, t’é en train d’me prouver qu’on peut être tout c’qu’on veut, sauf être c’qu’on é.
—Les temps ont changé Djo. Y faut s’ouvrir, un pays c’é p’tit alors qu’on peut conquérir le monde.
—S’ouvrir à être meilleur chez les autres que ce qu’ils sont eux-mêmes, j’vois pas où ça nous avance. On donne rien, on prend.
—J’me pose une question, Djo. À voir ton attitude, tu sentirais-tu encore qu’on est menacé au Québec? J’veux dire, la langue, la culture...
—Bin...C’é pu comme avant, on n’é pu menacé par les autres comme avant, on é menacé par notre propre comportement. Le nouvel ordre américain, ça marche, tout le monde s’y plie. On nous dit que tout est une affaire d’argent et il y a quelques années, on nous disait que si on réglait la question économique, on pourrait passer à autre chose, mais aujourd’hui on s’donne même pas la peine de dire ça. La question économique, c’est tout ce qui existe. Le pire, c’est que tout le monde croit ça. Finalement la guerre mondiale a été remportée par la nation qui avait la pire philosophie, mais probablement la meilleure façon de la faire passer.
—Djo, tu veux-tu encore que le Québec se sépare?
—Franchement, j’avais 15 ans, j’avais même pas l’âge de voter et j’étais sûr qu’il fallait que le Québec se sépare, dans le temps du RIN. On disait que ce n’était qu’une question de temps et d’argent, que le Québec n’était pas prêt économiquement. Maintenant, plusieurs années plus tard, je regarde ceux qui sont à la tête du pays et je crois qu’on é pas prêt comme on pouvait l’être dans les années 60.
—Fa que si y avait un référendum demain, tu voterais quoi?
—Bof! Par nostalgie, j’voterais probablement encore oui, sauf que chu même pas sûr que c’é la bonne chose à faire.
—Bin calvaire Djo! C’é décourageant?
—On s’é fait fourrer à tour de bras. Pis on a passé à coté de quelque chose qui aurait pu être important.
—Fa que?
—Bin c’é pas une raison de s’laisser aller. Moi, j’ai encore pas mal de travail à faire.
—Quoi?
—Je l’sé pas, mais commencer par me l’ver tôt, mettre mon capeau pis aller dehors.