Je vous parle souvent de chiens. Plusieurs chiens se sont infiltrés d’une façon ou d’une autre dans ma vie. J’étais à Mexico, je participais à une exposition de groupe au Museo del Chopo. Un échange Québec-Mexique. Au Mexique, les chiens sont en général traités avec mépris et se font donner des coups de pied. Il y en a beaucoup, ils sont pour la plupart sauvages et ils quêtent sans cesse leur nourriture avec insistance. Mais ce n’est pas du tout ce dont je veux vous parler. Au Mexique j’ai rencontré Jeane, une fille de La Macaza, petit village du Québec. Je ne la connaissais pas aupa-ravant et nous nous sommes liés d’amitié là-bas. Quelques années plus tard, elle m’invita à participer à un événement in-situ dans sa forêt boréale québécoise. Il y avait un thème : la chasse. Chaque artiste choisissait son site dans une vaste forêt. Moi, je choisis de travailler dans un marécage, une très grande fosse aménagée par des castors, à une vingtaine de minutes de marche de la route. J’avais décidé d’aborder le sujet d’une façon spéciale. Le paysage était magnifique, l’automne était doux et le seul hic était qu’on devait faire attention aux chasseurs et se vêtir de tissus fluorescents. C’est peut-être ce qui m’inspira le thème de mon intervention: Le chasseur chassé. J’ai inventé une histoire de sortilège et de messe noire, où les animaux se réunissaient à tous les 19 ans et prenaient leur revanche sur les hommes; une histoire sordide et satanique. J’avais apporté de mon atelier des sculptures issues de moulages assez réalistes. La plus importante et imposante était celle d’un corps d’homme, nu, suspendu par les pieds, les mains attachées dans le dos. La gent animale était représentée par cinq tigres grandeur nature. Je dus détourner le cours d’eau et vider le marécage pour quelques jours afin de pouvoir travailler à l’aise. Entre deux arbres, à une trentaine de pieds du sol, j’attachai une tige de bois. J’y fixai une longue corde à laquelle je pendis le pendu. Je mis les tigres au sol et je fis revenir l’eau. Les tigres se retrouvèrent le corps à la surface de l’eau, guettant le pendu qui avait la tête en bas à quelques pieds de la mare, son image se reflétant dans l’eau. Une fois toutes les installations terminées, on invita les gens du coin à faire le tour des sites. C’était une belle journée d’automne et ce fut très agréable. Je retournai ensuite à Montréal assez satisfait, en laissant dans le bois la scène que j’avais créée. Mais c’est ici que commence vraiment mon histoire. À ce que l’on m’a conté et les faits furent corroborés par la suite dans le journal local, une femme allait chaque jour promener son chien dans la forêt en question. Un jour, le chien revint seul au village, déboussolé, quasi enragé selon les dires. On appela un policier qui, n’ayant probablement pas appris à se servir d’autre chose que de son fusil, dégaina et tua le chien. Ce qui compliqua les choses car on se rendit compte de la disparition de la femme et le chien aurait pu grandement les aider à la retrouver. On alla chez elle. Son mari était là, il n’était au courant de rien. La police fouilla un peu et découvrit des photos d’un homme nu, pendu par les pieds dans la forêt. Malgré ses protestations et ses explications au sujet de l’événement de sculpture, on le soupçonna de faire partie d’une secte quelconque, on le considéra comme suspect et on l’embarqua. On fit une battue dans le bois et l’on trouva finalement la femme, morte. Sans aucun signe de violence, elle était morte tout bonnement, naturellement dit-on, et on relâcha le mari.
La sculpture du Pendu de La Macaza s'appelle également La revanche des animaux . Le personnage est dans une situation d'impuissance comme dans la carte de tarot du pendu.
Il est suspendu la tête en bas, il ne peut absolument rien faire. Il est complètrement à la merci des problèmes qui l'entourent, représentés ici par les tigres. Il est mis à nu, totalement vulnérable et confronté à son impuissance.
Lors de l’événement « À l'affût » dans la forêt boréale à La Macaza Qc en 1994, partie de l’exposition « J’ai peur de moi », au Centre copie-art, à Montréal en 1998, et de l’exposition « De la monstruosité », à la galerie Harrisson, à Montréal en 1999.
(Moulage sur corps humain et autres. Résine plastique colorée et fibre de verre.)