ÉCRITURE

FRAGILE

Il m’arrivait souvent de sombrer dans le noir. Alors, je partais marcher. À cette époque, je demeurais dans le centre-sud de Montréal, coin Ontario et Visitation. Quand je poignais ces downs, je sortais marcher. Quelques fois vers l’ouest, mais surtout vers le nord, je traversais la ville au complet, j’allais jusqu’à Henri Bourassa, plus loin, jusqu’au fleuve. Je me disais que je devais marcher jusqu’à ce que ma tête et surtout mon ventre se sentent libérés. Et ça marchait. Mais un jour, un gros nuage noir vint au-dessus de ma tête et j’ai compris que même si je marchais jusqu’à la Baie James, je ne règlerais pas mon problème. Je broyais, je mangeais du noir. Alors j’ai eu l’idée de me mouler un doigt.

Je me suis dit que je ne sortirais de mon état qu’en travaillant, en me concentrant, en répétant la même chose. Me mettant dans un état mantrique, je ferais des exemplaires de ce doigt tant que mon nuage noir ne partirait pas. Je numérotais chacune de mes pièces et un jour, j’en ai eu mille. Le nuage était toujours là, alors j’ai décidé d’aller plus loin. J’ai commencé à me mouler les mains, les pieds, le torse et même la tête. Quand mon chèque de bien-être rentrait, je m’achetais des sacs de plâtre. Je me suis retrouvé avec des milliers de parties de corps humain sans savoir qu’en faire. Alors j’ai pensé à faire une exposition avec toutes ces parties de mon corps morcelé et j’ai appelé ça Fragile