ÉCRITURE

LA CRAQUE DU PLANCHER

J’étais en prison. Bof! Pour une broutille de jeunesse. On m’avait mis dans la cellule commune. Cette salle où l’on entasse les gens accusés de délits mineurs et qui pour la plupart vont passer en cour le lendemain matin. Il y avait environ une quarantaine de personnes quand j’y suis arrivé. Les bancs collés aux murs étaient tous occupés par des gens étendus qui dormaient. Il y avait d’autres détenus couchés par terre, mais la plupart restaient debout à faire les cent pas car le plancher était mouillé par l’eau et l’urine coulant du bol de toilette fendu qui se trouvait dans un coin de la pièce.

En général, ces hommes étaient calmes sauf un qui s’était mis dans la tête d’arracher les barreaux. Il criait, frappait et empoignait les barreaux en les brassant le plus fort qu’il pouvait. C’était un grand et gros gars. Un costaud dans la vingtaine avancée, cheveux rasés et la mine d’un gars qui veut tuer. On aurait pu croire qu’il arracherait les barreaux pour de vrai. Mais tel n’était pas le cas et à la longue, il devint fatiguant avec son agressivité constante. Personne n’osait l’approcher, mais tout le monde voulait qu’il se calme. Je ne sais trop comment je m’y suis pris, mais je suis allé le voir. Je me disais qu’après tout, nous étions du même côté des barreaux. J’avais les cheveux très longs, jusqu’au milieu du dos, ainsi qu’une barbe. Ça n’a pas semblé le déranger. Je lui ai demandé pourquoi il était là. Il me dit qu’il avait sauté sur un policier et que ça en avait pris quatre autres pour le maîtriser. Quand je lui ai demandé pourquoi il avait agressé ce flic, il me conta un bout de sa vie.

C’était un mercenaire. Un Québécois qui revenait du Vietnam où il avait combattu à la solde du gouvernement américain. Ce n’était pas la première fois que je rencontrais un mercenaire. Quelques semaines auparavant, deux jeunes gars m’avaient embarqué sur le pouce et m’avaient expliqué qu’ils étaient en vacances pour quelques jours avant de retourner se battre pour les États-Unis. Selon eux, la paye était bonne et il ne manquait pas d’action. Moi qui naïvement croyais que ça n’existait que dans les films, je ne pouvais imaginer que du monde puisse s’ennuyer chez eux parce que la guerre n’y est pas. Mais, retournons en prison. Le gars m’expliqua qu’il avait été entraîné et conditionné à combattre et à tuer au Vietnam et qu’on fournissait aux soldats une grosse caisse de bière par jour. Ce qui faisait que maintenant, quand il buvait, il ne pouvait faire autrement que de vouloir se battre et se battre sauvagement. Il ne s’intéressait pas vraiment à ce que j’avais à lui dire et quand il eut fini de me conter les nombreuses batailles qu’il avait provoquées, il alla s’asseoir dans un coin et s’endormit.

La nuit avançait et tout le monde trouva tant bien que mal son petit nid pour dormir.
J’étais le dernier debout, je ne suis pas un dormeux et encore moins en captivité. Mais j’étais fatigué. Je me suis trouvé une place à terre où j’ai pu m’asseoir sans me mouiller. La nuit s’annonçait longue. Alors, ne sachant quoi faire, avec mes doigts et mes ongles je me mis à gratter et à sortir la poussière blanche d’une craque du plancher de béton. Avec cette poussière, j’ai commencé à m’amuser, à faire des formes sur le gris foncé du plancher, je dessinais sans trop m’en rendre compte. Je me suis complètement embarqué dans mon dessin. Au matin, quand on arriva avec les toasts molles et le jus brun qu’on appelait du café, je n’avais pas vu le temps passer. Je me suis levé et d’un coup de pied, j’ai balayé la poussière.

Parfois, quand je ne crois plus ni à l’art ni à rien, et ça m’arrive souvent, je repense à ce moment-là.