ÉCRITURE

WHISKY BLANC

Je jouais du saxophone depuis 20 ans et je n’avais encore jamais appris une seule toune. J’ai appelé mon ami Drae et lui ai demandé si ça lui tentait de pratiquer des grands airs connus. Il s’est aussitôt amené, considérant lui aussi l’expérience intéressante puisqu’il était surtout batteur à cette époque, et qu’il voulait travailler la guitare. Alors on se rencontrait régulièrement, assez souvent, et on apprenait tous les airs qui nous passaient par la tête : qu’ils soient de jazz, de pop, de classique, de western, de blues ou n’importe quoi d’autre. On se retrouva avec un répertoire qui allait de O sole mio, aux chansons des Beatles, à Girl from Ipanema, en passant par Le soleil se lève de Willie Lamothe, à Que sera sera, aux Feuilles mortes, au Concerto d’Aranjuez, etc. Nous les jouions toutes assez médiocrement, mais on arrivait quand même à les jouer.
C’est à ce moment que nous avons élaboré ce qui fut reconnu plus tard comme étant notre «style». Comme Drae prenait du temps pour fignoler et pour passer d’un accord à un autre et que moi, j’avais de la difficulté à me souvenir des notes à faire et des paroles à chanter, nous nous sommes mis à jouer très lentement, très très lentement.

Nous avons donné notre premier show à St-Jacques. Ce fut une réussite. C’était une soirée où plusieurs groupes jouaient et chaque groupe n’avait droit de jouer qu’une seule pièce. Nous avons été les seuls à avoir un rappel. Dès lors, on comprit que la vie nous était douce et que commençant au haut de l’échelle, nous n’avions qu’à tranquillement nous laisser glisser vers le bas.

Nous avons formé un groupe. Benoît vint se joindre à nous en tant que batteur. Il aimait bien notre rythme et profitait souvent de la lenteur de notre propos pour se rouler un cigarette en plein milieu d’une chanson, pour ensuite reprendre ses baguettes comme si de rien n’était. Drae jouait de la guitare et moi je chantais et jouais du saxophone.

Je ne voulais absolument pas chanter en anglais alors j’inventais des paroles en français sur les airs que nous connaissions. On finit par être en demande, surtout pour les soirées bénéfices. On pensa même à changer notre nom pour Ben et Fils, vu qu’en plus Benoît était notre aîné. Mais nous sommes restés Whisky Blanc et nous avons joué dans plusieurs bars de Montréal, pendant un peu plus d’un an. On apprit qu’à Londres, il y avait une nouvelle mode : la Dull Music. Ça consistait à prendre des vieilles chansons, à les jouer le plus lentement possible et à changer les paroles. Wow! Nous étions sans le vouloir à la fine pointe de la mode. Nous jouions parfois tellement lentement qu’une fois, en suivant la musique, je me suis amusé à épeler chaque mot d’une chanson et j’ai eu le temps de le faire. Puis, un jour, à force de ralentir, on s’est rendu compte qu’on avait arrêté.