ÉCRITURE

HALLOWEEN

Nous demeurons dans le même quartier depuis une vingtaine d’années. Il y existe une vie de quartier et chacun se salue ou échange pour le moins quelques civilités quand il croise son voisin. Sans en tirer une fierté, nous sommes heureux de demeurer sur notre rue et quand il s’agit de décorer nos maisons pour une fête, il existe un effet d’entraînement et tout le monde s’y met.
À Noël, évidemment la rue est entièrement éclairée, mais la plus belle fête est sans aucun doute la fête de l’Halloween. C’est du moins celle que je préfère, car elle me permet de pousser mon imagination tout en assouvissant mes grands instincts macabres souvent refoulés. Chaque année donc, l’extérieur de notre maison devient le théâtre d’une scène d’horreur quelconque. Vous me connaissez, jamais je n’irais acheter des petits vampires ou des petits fantômes en plastique chez Jean Coutu. Non, j’aime bien créer mes propres scènes et c’est ce que je fais depuis que nous sommes ici sur la rue Fabre. Et ça marche, les voisins m’en redemandent. Une année par exemple, j’avais fait une sorcière, elle était suspendue dans les airs, volant sur son balai. J’y avais mis beaucoup de temps et d’attention pour la rendre la plus réaliste et la plus répugnante possible.
Certains enfants hésitaient, d’autres avaient de légers frissons, mais tout cela faisait partie de la fête, et de l’horreur naissait le plaisir. L’année suivante, je reçus une lettre d’un enfant me demandant si cette année encore, la sorcière reviendrait. Je me suis empressé de la ressortir. Nous l’avons laissée là plusieurs jours sachant que c’était devenu un genre de symbole. Mais, un matin je constatai qu’elle n’y était plus, on nous l’avait volée durant la nuit.
J’étais déçu. Pas nécessairement déçu d’avoir perdu la sorcière, mais de savoir que je n’installerais jamais plus de sculpture devant chez nous de peur de me la faire voler.
Cette année-là, j’écrivis à tous mes voisins pour leur dire que malheureusement la sorcière ne reviendrait pas car elle avait décidé de voler de ses propres ailes, de son propre balai, devrais-je dire.
Je reçus plusieurs lettres de condoléances et d’autres lettres me demandant de ne pas abandonner malgré tout et souhaitant que je continue à divertir les gens du quartier par mes images.
Alors, petit à petit, nos interventions s’orientèrent un peu plus vers la performance et les scènes d’abord uniquement visuelles cédèrent leur place au théâtre. Johanne et moi incarnions des personnages et jouions notre rôle d’horribles.
Une année, j’ai pensé à faire une soupe aux yeux. J’avais acheté plusieurs têtes d’agneaux et tout au long de la soirée, avec un couteau, j’extorquais chaque œil de son orbite pour le mettre dans un bol afin, disais-je, d’en faire une soupe. Une fois les yeux extirpés, j’accrochais le crâne à une des chaînes déjà suspendues. C’était d’un macabre, mais les commentaires, les nombreux flashs d’appareils photo et les prises vidéo me démontrèrent que les gens appréciaient. Le lendemain, j’ai décidé de laisser les têtes suspendues une journée de plus, car j’aimais ces têtes devenant d’heure en heure de plus en plus noires, prenant l’allure du cuir, sans parler des dégoulinures de sang et des mouches se rajoutant au décor.
Mais, le matin suivant, j’ai vu une note de la police de Montréal accrochée à notre porte. Ça disait et je cite : «Vous devez obligatoirement et sans délai enlever les têtes de bétail accrochées sur votre galerie et devez communiquer sans faute avec le Sgt Mandjee, du poste de quartier 37 au 280-0137.»
J’ai enlevé les têtes évidemment car j’avais peur de me les faire saisir et je voulais absolument récupérer les crânes. Pour ce qui est du sergent Mandjee, il retontit le surlendemain, pendant la nuit, frappant à ma porte comme un malade. Ils retontirent, devrais-je dire, car ils étaient deux, un homme et une femme. Celle-ci me dit :
– Vous n’avez pas appelé au poste?
– Comment ça?
– Vous avez enlevé votre charogne à cause de notre avis.
– Quel avis?, répondis-je innocemment.
– Vous allez me faire accroire que vous avez enlevé les têtes juste comme ça?
– Ça faisait deux jours qu’elles étaient là, pour moi c’était assez. Ce n’était qu’une décoration pour l’Halloween.
– Vous pourriez être accusé d’insalubrité.
– Écoutez, toute la soirée de l’Halloween, les gens sont venu, ont pris des photos, ont ri. Je crois que ça été beaucoup apprécié.
– On a eu des plaintes.

Je vous raconte ça tout simplement, mais dans la réalité, ce n’était pas tout à fait aussi facile. La policière était extrêmement agressive et véhémente. Moi, j’étais dans mes petits souliers car j’ai toujours eu une peur bleue de la police, homme ou femme, même si ça ne m’a jamais empêché de faire ce que je voulais.
La policière en mettait, je filais de plus en plus mal et elle savourait sa supériorité. Jusqu’à ce que Johanne apparaisse en arrière de moi. La policière alors se calma et regardant son co-équipier, ils décidèrent de partir en marmonnant une morale quelconque et l’avertissement de ne plus recommencer.

Johanne n’a pas peur de la police.