LED ZEPPLIN
J’avais 20 ans. Je demeurais avec Caroline. Elle en avait 19. Ses parents me haïssaient évidemment car elle était partie de chez elle pour venir rester avec moi et l’on n’avait aucunement l’intention de se marier. En plus, j’avais les cheveux longs, la barbe, et mes buts dans la vie n’étaient que de vivre et de dessiner. Un jour, une religieuse, une bonne sœur, vint nous visiter. C’était la cousine de Caroline. Elle vint pour nous sermonner, nous dire que nous vivions dans le péché, qu’un homme et une femme ne devraient jamais vivre ensemble sans être mariés. Quand elle est partie, je me suis rendu compte qu’il me manquait des dessins. Elle m’en avait volé. Plus tard, j’appris que les parents de Caroline avaient demandé à cette cousine de prendre quelques-uns de mes dessins afin de les faire analyser par un psychiatre pour voir si j’étais normal et s’il n’y aurait pas quelque chose à entamer légalement pour ramener leur fille au bercail. À cette époque, je ne dessinais que des squelettes ou des scènes de mort. Un des dessins qu’elle m’avait volés était un autoportrait où j’étais étendu par terre, mort, baignant dans mon sang. Bizarrement, je l’appris plus tard, le psychiatre ne conclut pas à la démence mais leur dit que j’étais quand même fucké et fort probablement drogué. Drogué? Nous l’étions à peine. Quelques joints par-ci par-là et de l’acide à l’occasion. Mais les parents de Caroline ne le voyaient pas ainsi et envoyèrent cette fois la sœur de Caroline. Elle était infirmière au cinquième étage de l’hôpital Charles-Lemoyne, l’étage psychiatrique. Elle m’invita à aller lui rendre visite à son travail. J’acceptai. C’était très impressionnant. Des gens qui marchent comme des somnambules, des zombies, d’autres qui crient. Il y avait une femme assise sur une table, elle avait la moitié de la tête rasée et elle criait: «Mary, make me a cup of coffee, Mary, make me a cup of coffee.» Ouf! C’était exactement comme dans Vol au-dessus d’un nid de coucou, sauf que c’était vrai et que le film n’était pas encore sorti. Un gars vint me voir et me dit: «Viens dans ma chambre, je vais te faire écouter quelque chose.» J’y suis allé. Il venait tout juste de recevoir en cadeau, le dernier disque de Led Zeppelin, leur troisième. Il me mit la première chanson, Immigrant Song. Je m’en rappellerai toujours. Nous avons écouté ensemble tout le disque, c’était fabuleux et les cris de «Mary make me a cup of coffee» s’intégraient tellement bien à cette musique psychédélique et envoûtante. Puis il m’a parlé longuement de Castaneda que je ne connaissais pas. Le lendemain, j’ai téléphoné à la sœur de Caroline pour lui demander pourquoi ce gars-là était à l’hôpital, il me semblait tout à fait sain. Elle me dit: «Quand tu es parti, il a fait une crise en disant qu’il ne voulait plus jamais que des espions viennent le voir.» Elle m’a expliqué qu’il ne sortirait probablement jamais, qu’il était accroché sur l’acide et que c’était un paranoïaque à vie. Ouf! je n’en revenais pas. Je me suis informé au sujet de la femme qui voulait que Mary lui serve une tasse de café. Elle me dit : «Ah! Celle-là, elle va de mieux en mieux, elle sort la semaine prochaine.» Quoi dire? Ça restera toujours une énigme pour moi. Malgré tout, je ne remercierai jamais assez les parents de Caroline de m’avoir donné la très grande chance d’écouter pour la première fois un disque de Led Zeppelin dans un endroit privilégié et ô combien compatible avec leur musique.
|